Pourquoi mon jardin préféré n’est pas celui d’Instagram

Plaidoyer pour les herbes folles et les esprits tranquilles

 

1. Pourquoi on trouve certains jardins “beaux”

Partons d’un exemple parlant : certain·es d’entre vous connaissent sans doute le jardin de nos grands-parents. Une parcelle bien droite, avec ses rangées de légumes alignés et la terre laissée nue entre chaque planche.

Ce modèle, comme beaucoup d’autres, est bien sûr une méthode de culture efficace, mais c’est aussi : et surtout : un standard de beauté transmis de génération en génération.

(Et oui, j’ai eu de nombreuses fois ce débat-là avec mes parents. Ce genre de jardin, c’est “beau” quand tout est tiré au cordeau, ratissé au poil de cul. Une planche de culture paillée avec du foin, du compost en surface et de la terre un peu grumeleuse ? “C’est pas fini”, “ça fait sale”.)

Alors… qui a raison ?
Personne. Et tout le monde à la fois.
Parce que là-dessous, on ne parle pas seulement de légumes : on parle de ce qui nous apaise, de ce qui nous donne le sentiment d’avoir bien fait.

Certains trouvent leur satisfaction dans l’ordre visuel, dans le contrôle. D’autres dans le relâchement, dans la biodiversité qu’on laisse faire. Ce sont juste des priorités différentes.

Évidemment, cet article est un parti pris. Je vous raconte ma vision, pour que vous puissiez mieux appréhender la vôtre et vous positionner. Peut-être qu’à la fin, vous vous situerez mieux.

2. Et si ce qu’on appelle “joli” n’était pas toujours vivant ?

Reprenons l’exemple précédent : une planche de culture paillée avec du foin. Par-dessus, quelques tiges sèches de “mauvaises herbes” que je n’ai pas pris la peine d’évacuer. Et cette texture un peu grumeleuse, avec des blocs de terre qui dépassent : le résultat d’un coup de grelinette, un passage de croc vite fait, mais sans avoir ratissé au cordeau.

Techniquement, c’est sain. Efficace. Fertile, même.
Mais pour un œil habitué aux rangées nettes et à la terre nue, ça ne “fait pas propre”.

Et c’est là que ça devient intéressant.

Je ne suis pas en train de dire que cette vision du jardin “au cordeau” est mauvaise. Pour certain·es, elle est rassurante, claire, satisfaisante. Je le vois bien autour de moi : c’est une manière de faire qui apporte du plaisir, de la fierté, une impression de maîtrise. Et c’est très bien ainsi.

Mais moi, je ne ressens pas ça.
Je ne retire aucune satisfaction du jardin “tout au carré”. Ça me demande une énergie mentale qui ne me convient pas. Ça crée plus de tension que de joie. J’ai besoin que mon jardin reste un espace vivant, un peu flou, un peu mouvant, un peu imparfait. Un endroit qui respire plus qu’il ne s’aligne.

Je préfère l’impression d’abondance. Je préfère les zones où ça grouille, où l’on sent que quelque chose se passe, même si c’est brouillon. Peu importe où je pose les yeux, il y a quelque chose d’inattendu à observer : un insecte, une tige biscornue, une plante apparue sans prévenir.

📌 Encart sensible – Passion étrange mais assumée
Petite confession au passage : j’ai une obsession pour la texture des feuilles de chénopode. On dirait des microbilles transparentes. Un truc entre le givre et le slime végétal. Oui, c’est bizarre. Me jugez pas.

Mais pour comprendre ce que je cherche dans un jardin, il faut aussi se demander ce qu’on attend d’un jardin, tout court.

Moi, c’est simple : je veux de la bouffe, et de la méditation. Autrement dit, je veux pouvoir récolter des légumes, et retrouver un peu de calme. C’est pas plus compliqué. Et pour ça, je n’ai pas besoin que tout soit parfait visuellement. J’ai besoin que ça fonctionne, et que je m’y sente bien.

Alors oui, mon “bordelisme” m’a parfois coûté des récoltes. Il y a eu des moments où je n’ai pas désherbé à temps, où des cultures se sont fait étouffer. Parfois par flemme, parfois par fatigue, parfois parce que j’avais la tête ailleurs. Ça arrive.

Mais ce que j’ai vu aussi, au fil des années, c’est que ma manière de faire, même imparfaite, porte ses fruits.

Mon parti pris, donc, c’est de créer des conditions favorables, pas des décors impeccables. Mes légumes sont normalement adaptés à mon terrain (surtout s’ils sont issus des graines reproduites sur place). Si j’ai greliné, paillé, et laissé un espacement correct, j’estime qu’ils n’ont pas besoin de plus d’attention que ça. Le reste, c’est pour notre regard à nous, humains.

3. Sortir des injonctions et arrêter d’appliquer des filtres beauté sur le vivant

(Ou accepter que ce que fait la nature, c’est par nécessité, pas par souci d’harmonie)

“La nature a horreur du vide.”
C’est une phrase pleine de bon sens, qu’on répète souvent. Mais qu’est-ce qu’elle veut dire, concrètement, pour un·e jardinier·ère ?

📌 [Petit point technique : pourquoi “ça pousse” là ?]
Quand un sol est laissé nu, il ne le reste pas bien longtemps. Certaines espèces végétales, souvent appelées pionnières, s’y installent rapidement. Pas parce qu’elles ont un “rôle” ou une intention, mais simplement parce que les conditions sont favorables : lumière, humidité, sol perturbé ou aéré, absence de concurrence.
On parle alors de niche écologique vacante : un espace disponible dans un écosystème, que certaines espèces peuvent occuper si elles y sont adaptées. Ce phénomène de colonisation spontanée n’a rien de mystérieux : c’est simplement le vivant qui réagit aux opportunités.

Source : Wikipedia – Espèce pionnière

🪴 Un jour, on parlera plus en détail de ces plantes pionnières qui s’invitent en premier sur les terrains laissés nus. Certaines sont de vraies alliées. (Article à venir.)

🌱 [Le saviez-vous ? Le sol est une vraie banque de graines]
Dans chaque mètre carré de sol, on trouve souvent des milliers de graines dormantes, prêtes à germer dès que les conditions changent (perturbation, lumière, humidité). Certaines de ces graines peuvent rester viables pendant des dizaines d’années, attendant simplement l’occasion de se développer.
En perturbant la terre (binage, retournement, etc.), on remonte ces graines à la surface et on déclenche une colonisation spontanée, qui peut sembler soudaine… mais qui est bel et bien prévisible.

Source : Wikipedia – Banque de graines du sol

En tant qu’humains, on a souvent tendance à vouloir canaliser ce vivant. On choisit les variétés, on aligne les rangs, on sarcle ce qui dépasse, on introduit certaines espèces sauvages mais pas d’autres. On dessine un jardin à notre image, selon des critères qui nous rassurent. C’est une posture naturelle. Mais à un moment donné, il faut bien choisir où l’on place le curseur : qu’est-ce qu’on laisse faire ? Qu’est-ce qu’on encadre ? Et pourquoi ?

Parce que la réalité est beaucoup moins “propre sur elle” :

  • Tu épands du fumier de chez un voisin, et te voilà avec une plante inconnue qui prend ses aises.

  • Un oiseau passe et “dépose” une graine en plein milieu de ton potager : quelques mois plus tard, tu te retrouves avec un merisier.

  • Tu ramènes un peu de litière de forêt pour enrichir le sol : un petit chêne s’installe discrètement.


Plusieurs façons de faire… et aucune vérité unique

Face à ce que la nature ramène dans le jardin (plantes spontanées, graines voyageuses, repousses inattendues), chacun·e développe sa manière de faire, selon ses objectifs, ses contraintes, son tempérament.

  • L’approche expérimentale ou intuitive : on teste, on observe, on adapte. Il n’y a pas forcément de plan précis, mais une curiosité, une envie de faire avec ce qu’on a, de voir ce qui pousse. C’est souvent un point de départ accessible, qui permet d’apprendre en marchant, à son rythme.

  • L’approche très cadrée : on garde les planches nettes, la terre dégagée, et l’on intervient dès qu’un élément non prévu s’installe. Cette méthode permet d’avoir une lecture claire de l’espace, de suivre précisément l’évolution des cultures, et de limiter les imprévus. Elle peut apporter une vraie satisfaction visuelle et un sentiment de maîtrise du lieu.

  • L’approche intermédiaire : on tolère une certaine spontanéité tant qu’elle ne gêne pas les cultures. Quelques “mauvaises herbes” sont acceptées, certaines zones restent en repos, d’autres sont entretenues plus activement. C’est une manière souple de jardiner, qui cherche un équilibre entre ordre et adaptation.

  • L’approche autonome ou “laisser-faire” organisé : ici, l’idée est de concevoir un système qui fonctionne presque sans intervention. Cela demande souvent beaucoup de préparation au départ : observer le terrain, choisir des plantes complémentaires, organiser les espaces pour favoriser les interactions naturelles. C’est un travail de fond, qui s’inscrit sur plusieurs années, avec un autre rapport au temps et à l’action.

🎯 Et vous, vous vous situez où sur cette échelle ? Dites le dans l’espace commentaire.


4. Vive les mauvaises herbes

(Et comment on arrête de stresser pour des foutaises et se concentrer sur l’essentiel)

À ce stade, il faut bien poser la question : pourquoi certaines plantes nous crispent-elles autant ? Pourquoi est-ce qu’un pissenlit au milieu d’un chemin nous hérisse le poil, alors qu’il est inoffensif ?

Le mot “mauvaise herbe” est en lui-même révélateur. (On en reparlera : j’ai envie de faire un lexique sensible du jardinier, pour déconstruire deux-trois mots bien ancrés…) Il ne désigne pas une espèce précise, mais une présence jugée indésirable, souvent simplement parce qu’elle n’a pas été choisie. Ce n’est pas une catégorie botanique. C’est une réaction émotionnelle. Et souvent, un réflexe hérité.

📌 [Besoin de reconnaître rapidement une “mauvaise herbe” ?]
Utilisez l’application PlantNet ! C’est un outil collaboratif gratuit, très pratique pour identifier les plantes à partir d’une photo.
Une fois l’espèce repérée, il ne vous reste plus qu’à chercher en ligne si elle a une valeur bioindicatrice… ou simplement à décider si vous voulez lui faire une place au jardin.

En réalité, ces plantes spontanées sont des indicateurs précieux. Certaines signalent un sol trop piétiné, trop compact. D’autres révèlent une terre riche, ou au contraire pauvre. En observant ce qui pousse, on apprend beaucoup sur ce qui se passe sous nos pieds.

📌 [Encart technique : ce que nous disent les plantes dites “indésirables”]

  • Le chiendent : plutôt envahissant, mais il indique souvent une terre tassée.

  • Le rumex : présent dans les sols acides ou asphyxiés.

  • L’amarante ou le chénopode : des amatrices de sol nu, riche en azote.

Autrement dit, la présence de ces plantes n’est pas un échec, c’est une information. Libre à nous de la lire ou de la gommer.

Et parfois, en jardinant, on finit par s’attacher à certaines de ces plantes. Parce qu’elles abritent des insectes utiles. Parce qu’elles fleurissent quand tout le reste est sec. Parce qu’elles ont une odeur, une texture, une couleur qu’on aime bien. Et là, ça devient presque intime.

Alors non, je ne dis pas qu’il faut tout laisser pousser n’importe où. Certaines plantes sont réellement problématiques quand elles étouffent les cultures ou qu’elles prennent toute la ressource.

Mais surtout : arrêtons de gaspiller notre énergie à combattre des symboles. Mieux vaut la concentrer là où elle sera vraiment utile.

Ok, mais je fais quoi de ces informations ?

Pour conclure, si vous êtes un peu comme moi, à valoriser l’efficacité plutôt que l’esthétique, voici une petite checklist pour trouver un compromis satisfaisant :

  •  Paillez ! On dit souvent qu’un binage vaut deux arrosages, mais quand il s’agit de désherber, le paillage est un allié redoutable. Il crée une barrière entre la terre et la lumière. Résultat : la plupart des adventices qui essaient de germer filent et s’épuisent avant d’atteindre la surface.
  • Désherbez de manière stratégique, non systématique. (Sauf pour les carottes, panais et autres espèces fragiles dès la levée.) Pour d’autres cultures, vous pouvez vous accorder un peu de souplesse. Et si vous désherbez en pleine chaleur, vous pouvez laisser les plantes arrachées sur la planche (sauf si elles risquent de repartir).

  • Préparez vos planches en fonction de ce que vous y sèmerez. Inutile d’ajouter du travail chronophage juste pour faire joli (sauf encore une fois : carottes. Terre fine et souple = levée idéale).

  • Tondez votre pelouse uniquement sur les accès que vous empruntez (sauf s’il y a risque de serpents + enfants). Plus de biodiversité et de vie, moins de travail.

  • Apprenez à avoir le compas dans l’œil pour tracer des lignes à peu près droites, et utilisez votre corps comme outil de mesure pour les espacements. Adieu le cordeau et la réglette à chaque planche (maman, si tu lis ça : range tout de suite ton commentaire).

  • Et pitié, ne faites pas comme moi : rangez vos outils de manière stratégique. Le vous du futur vous remerciera de cette petite attention.

 

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