Avant-propos
Dans l’article précédent, on a posé les bases : les rendements réalistes au potager, au verger ou même avec quelques animaux. Maintenant, on passe à l’étape suivante, plus concrète : combien faut-il produire pour couvrir ses besoins annuels et se rapprocher d’une vraie autonomie.
Le repère santé publique des “5 fruits et légumes par jour” correspond à 150 à 180 kg de récoltes par adulte et par an. C’est une moyenne théorique, fruits et légumes confondus. Mais en autonomie, on ne peut pas se contenter de viser pile ce volume : un potager n’est pas une usine calibrée. Les récoltes arrivent par vagues, les pertes sont inévitables, et il faut aussi tenir compte de la conservation et du stockage.
C’est pourquoi on applique deux marges de sécurité dès la planification :
- +20 % sur chaque culture au semis ou à la plantation, pour compenser les échecs et les pertes précoces.
- +20 % de diversité supplémentaire, afin de ne pas dépendre d’une seule récolte. Si ton pommier gèle, tes framboisiers prennent le relais ; si tes carottes disparaissent dans les galeries des campagnols, les panais ou le céleri-rave sauvent l’hiver.
Autrement dit, la sécurité ne consiste pas seulement à planter plus, mais surtout à varier les espèces et les familles. Même avec toute la vigilance du monde, tu auras toujours une part de récoltes perdues : maladies, ravageurs, gelées tardives, conserves ratées. Mieux vaut quelques cageots de surplus que des paniers vides en plein hiver.
Et l’autonomie ne se limite pas aux “5 par jour”. Une assiette solide repose sur plusieurs piliers :
- des féculents (pommes de terre, patates douces, topinambours, châtaignes…) pour l’énergie,
- un minimum de protéines accessibles (quelques poules et des œufs),
- et des fruits qui complètent le potager et apportent variété et conservation.
C’est cette logique que nous allons détailler ici : transformer les rendements en surfaces, les surfaces en récoltes, et les récoltes en assiettes, pour bâtir un socle alimentaire réaliste, diversifié et résilient.
Pomme de terre, et autres féculents
La base incontournable
Sur le plan nutritionnel, la pomme de terre est un féculent (amidon), pas un “légume” au sens des recommandations. Mais en autonomie, c’est la base la plus réaliste : elle pousse partout, nourrit, se conserve plusieurs mois et peut remplacer une bonne part de pâtes ou de riz.
- Besoin annuel (adulte) : ~250–300 g/jour de féculents cuits → ~90–110 kg/an.
- Objectif réaliste : viser ~80 kg/an de pommes de terre consommées, soit 70–80 % du besoin.
- Surface à prévoir : rendement 2–4 kg/m² → 25–40 m² de culture pour un adulte.
- Stockage : cave ou grenier frais, sombre et ventilé. Compter 10–20 % de pertes (rongeurs, germination, maladies).
Les alternatives complémentaires
- Patate douce : aime la chaleur, préfère la serre ou un sol bien drainé et paillé. Donne 2 à 3 kg de tubercules par pied (jusqu’à 4–5 kg en conditions idéales). Se garde 3 à 6 mois dans un lieu sec et tempéré. Apporte variété et saveur sucrée, idéale dans les soupes et conserves où elle remplace la pomme de terre (plutôt dans les recettes douces type courge ou carotte que dans une soupe de poireaux).
- Topinambour : pousse presque sans soin, même sur sol pauvre, et revient chaque année. Rendement de 2 à 5 kg par pied. Récolte d’octobre à mars, se conserve mal en cagette (il se ramollit et pourrit vite), mais il se conserve parfaitement en terre, à condition que le sol ne soit pas détrempé ou gelé trop longtemps. Très envahissant. Rustique et pratique pour l’hiver.
- Châtaigne : ressource forestière “illimitée” si on a des arbres à proximité. Un arbre adulte donne des dizaines de kilos. Se consomme fraîche, séchée, en farine. Remplace ou complète volontiers la patate dans soupes, purées et plats en sauce.
Comment compléter intelligemment
Même avec un bon stock de patates, il reste 20–30 % du besoin à trouver ailleurs. Plusieurs options :
- Légumineuses sèches (pois chiches, lentilles, haricots secs) pour diversifier et ajouter des protéines.
- Céréales (blé, seigle, maïs, riz) → généralement plus simple d’acheter ou d’échanger localement que de produire soi-même.
👉 Pour une autonomie réaliste, la pomme de terre reste le socle. Le reste (topinambours, châtaignes, un peu de légumineuses et de courges) permet de varier et d’assurer l’équilibre sans se lancer dans la culture de blé ou de riz à la main.
Une fois la base énergétique assurée, reste à compléter l’assiette avec des protéines accessibles. Et dans un jardin familial, le plus simple, ce n’est pas de se lancer dans les vaches ou les cochons, mais plutôt… quelques poules.
Protéines animales : œufs & poulets de chair
Œufs : la base accessible
Quelques poules pondeuses suffisent pour compléter un potager. Compte 5 à 10 m² de parcours par poule et sache qu’elles ne pondent pas en continu : chaleur, gel, parasites ou simple repos biologique stoppent la production.
Poulets de chair : faisable, mais limité
Pour la viande, élever quelques poulets est autorisé tant que tu restes dans l’élevage familial (moins de 50 sujets). Prévois 5 à 10 m² de surface extérieure par poulet et 8 à 10 kg de grain par animal sur un cycle d’élevage (10–12 semaines). Ça dépanne, mais ce n’est ni économique ni très varié si tu comptes uniquement là-dessus.
Notes pratiques et garde-fous
Légalement, tu dois déclarer ton poulailler en mairie, limiter les effectifs et respecter les règles d’urbanisme. Renseigne-toi avant de commencer ton projet.
Avoir une vingtaine de poulets de chair peut être un compromis, à condition de budgéter leur nourriture, leurs soins et leur environnement. Pour le reste des besoins en protéines, mieux vaut se tourner vers des éleveurs locaux qui vendent en gros : il est courant d’acheter un animal entier à plusieurs et de partager les morceaux. Avantage non négligeable, tu sais d’où vient la viande et tu peux vérifier les pratiques de l’éleveur.
Une fois l’énergie (féculents) et les protéines assurées, le cœur du potager reste bien sûr les légumes et les fruits, qui apportent la diversité, les vitamines et les fibres au quotidien.
Légumes frais ou réserves : quelle répartition prévoir sur l’année ?
Un potager ne produit pas en flux tendu : il déborde de légumes frais en été, puis se repose l’hiver où l’on vit surtout sur les réserves. Le graphique ci-dessus illustre cette logique : en juillet-août-septembre, 80 à 90 % de l’assiette peut venir du frais, tandis qu’en janvier on tombe plutôt à 20 % de frais pour 80 % de conserves. Ces proportions sont indicatives: chaque jardin, chaque climat et chaque appétit change la donne, mais elles donnent un bon ordre de grandeur pour savoir quand prévoir des stocks, et combien de diversité mettre en bocaux, au congélateur ou en cave.

Légumes : prévoir selon les saisons
Avant de sortir les chiffres, rappel utile : un potager ne se gère pas en tonnes globales mais en vagues successives.
- Échelonner : carottes, salades, radis… ça se sème en plusieurs fois pour éviter de tout récolter d’un coup.
- Stock vs. plaisir : patates de garde, courges, haricots = base de réserve. Tomates cerises ou petites courges = bonus à manger vite.
- Anticiper la transfo : une grosse partie des tomates finira en sauces, une partie des haricots au congélateur.
👉 L’abondance d’été nourrit l’hiver, l’intersaison sert de transition, et l’hiver repose sur les réserves.
Mise en contexte
Ce qui suit n’est pas une formule magique, mais une mise en situation réaliste et diversifiée de ce qu’un adulte peut viser en moyenne sur une année. Les chiffres ne sont pas gravés dans le marbre : ils varient selon ton climat, ton sol, tes goûts, ta place disponible et ton organisation.
L’idée est de donner un ordre de grandeur crédible pour construire un plan de cultures équilibré. Si tu veux adapter les volumes à tes besoins (plus de tomates, moins de betteraves, pas de pastèques…), appuie-toi sur le tableau récapitulatif : il te permettra de recalculer tes surfaces et ton total à ta sauce.
Légumes
Tomates · ~25 kg/an
- Rendement : 2–5 kg/plant.
- Besoin : 10–12 plants.
- Conduite : semis précoce, palissage, transformation en sauces.
- Surface : 4 m² (intensif) → 6 m² (classique).
Courges de garde (butternut, potimarron) · ~14 kg/an
- Rendement : 3–5 kg/plant.
- Besoin : 3–4 plants.
- Conduite : plantation unique, cure et stockage.
- Surface : 3 m² (intensif, compost riche, palissage) → 6–8 m² (classique rampant).
Carottes · ~14 kg/an
- Rendement : 4–6 kg/m².
- Besoin : 3–4 m² de semis.
- Conduite : semis échelonnés, stockage en cave.
- Surface : 3 m² (intensif, semis serrés) → 5 m² (classique, rangs espacés).
Choux (verts, rouges, kale…) · ~12 kg/an
- Rendement : 1–2 kg/plant.
- Besoin : 8–10 plants.
- Conduite : plantations printemps/été, variétés de garde.
- Surface : 3 m² (intensif) → 5 m² (classique).
Oignons / échalotes / ail · ~10 kg/an
- Rendement : 80–120 g/bulbe.
- Besoin : 100–120 bulbes.
- Conduite : plantation unique, séchage et stockage.
- Surface : 3 m² (intensif, 30–40 bulbes/m²) → 6 m² (classique, 15–20/m²).
Poireaux · ~8 kg/an
- Rendement : 250–350 g/plant.
- Besoin : 30–35 plants.
- Conduite : semis en pépinière, repiquage été, récolte d’hiver.
- Surface : 1,5 m² (intensif, 20–25 plants/m²) → 2,5 m² (classique).
Betteraves · ~6 kg/an
- Rendement : 250 g/racine.
- Besoin : 20–25 racines.
- Conduite : semis printemps/été, consommation fraîche ou garde.
- Surface : 1,5 m² (intensif) → 2,5 m² (classique).
Poivrons · ~6 kg/an
- Rendement : 1–2 kg/plant.
- Besoin : 4–5 plants.
- Conduite : semis sous abri chauffé, récolte d’été.
- Surface : 1,5 m² (intensif) → 2,5 m² (classique).
Courgettes · ~6 kg/an
- Rendement : 4–6 kg/plant.
- Besoin : 1–2 plants.
- Conduite : plantation précoce, récoltes continues.
- Surface : 1,5 m² (intensif, taille, palissage) → 3 m² (classique rampant).
Haricots verts · ~5 kg/an
- Rendement : 200 g/plant.
- Besoin : 25–30 plants.
- Conduite : 2 semis, récoltes régulières.
- Surface : 1,5 m² (intensif, semis serrés) → 2,5 m² (classique).
Concombres · ~4 kg/an
- Rendement : 2–4 kg/plant.
- Besoin : 2 plants.
- Conduite : palissage, récolte estivale.
- Surface : 1 m² (palissé) → 2 m² (classique rampant).
Aubergines · ~4 kg/an
- Rendement : 1,5–3 kg/plant.
- Besoin : 2–3 plants.
- Conduite : semis précoce au chaud, récolte été–automne.
- Surface : 1,5 m² (intensif) → 2,5 m² (classique).
Navets / rutabagas · ~3,5 kg/an
- Rendement : 300–400 g/racine.
- Besoin : 10–12 racines.
- Conduite : semis fin été, récolte automne.
- Surface : 1 m² (intensif) → 2 m² (classique).
Feuilles & divers · ~12 kg/an
- Salades, mâche, mesclun, épinards, blettes, radis, céleri-rave, petits pois.
- Conduite : semis/repiquages échelonnés.
- Surface : 5 m² (intensif, cultures serrées, successions) → 8 m² (classique).
Fruits
Arbre fruitier (pomme/poire/prune/cerise) · ~35 kg/an
- Rendement : 20–50 kg par arbre adulte.
- Conduite : taille légère, récolte groupée, conservation variable.
- Surface : 10 m² (gobelet, taille intensive) → 20 m² (classique non palissé).
Fraises · ~6 kg/an
- Rendement : 300–500 g/pied.
- Besoin : 15–20 plants.
- Surface : 3 m² (butte paillée serrée) → 5 m² (classique).
Framboises · ~5 kg/an
- Rendement : 300–400 g/tige.
- Besoin : 15–20 tiges.
- Surface : 2 m² (palissage serré) → 4 m² (classique).
Cassis + groseilles · ~4 kg/an
- Rendement : 2–3 kg/arbuste.
- Besoin : 2 arbustes.
- Surface : 3 m² (taille entretenue) → 5 m² (classique).
Melons · ~8 kg/an
- Rendement : 2–3 fruits/pied.
- Besoin : 3 plants.
- Surface : 2 m² (palissé, taille maîtrisée) → 4 m² (classique rampant).
Pastèques (si climat) · ~12 kg/an
- Rendement : 1 fruit/pied (3–5 kg).
- Besoin : 3–4 plants.
- Surface : 3 m² (palissé ou arrosage soigné) → 6 m² (classique rampant).
En additionnant légumes et fruits du socle, on arrive à un total d’environ 200 kg par adulte et par an, soit un ordre de grandeur cohérent avec les recommandations nutritionnelles et les besoins d’une autonomie partielle. Pour ceux qui veulent sécuriser davantage, on peut ajouter une marge de 20 %, ce qui porte le total à 220–240 kg par an et par adulte.
En termes de surface, cela correspond à 45–60 m² en culture intensive (successions, planches permanentes, variétés serrées) ou 75–95 m² en jardin plus classique. Dans la pratique, il n’est pas nécessaire d’avoir tout cultivé en même temps : les successions de semis et de plantations permettent de tourner sur 20–30 m² de planches actives à un instant donné.
À côté de ce socle, rien n’empêche d’ajouter quelques cultures plaisir — artichauts, asperges, fenouils, salsifis, physalis ou autres expérimentations. Elles ne sont pas indispensables au calcul de base, mais elles apportent diversité et gourmandise.
Ce plan reste un cadre indicatif : à chacun de l’adapter selon son terrain, ses envies, et la place qu’il souhaite donner au potager dans son alimentation. Tous ces chiffres restent abstraits tant qu’on ne les ramène pas à une échelle concrète. Pour visualiser ce que ça donne, prenons l’exemple d’une famille de quatre personnes.
Mise en situation : une famille de 4 en autonomie partielle
Prenons une famille avec deux adultes et deux enfants.
- Fruits et légumes :
- 2 adultes × 200 kg = 400 kg
- 2 enfants × ~140 kg = 280 kg
➝ Total ≈ 680 kg/an.
Une partie est mangée fraîche, le reste passe en conserves, confitures, courges et pommes stockées en cave, etc.
- Féculents : un champ de 80–100 m² de pommes de terre couvre l’essentiel, complété par quelques rangs de topinambours ou des châtaignes si disponibles.
- Protéines : une dizaine de poules pondeuses assurent plusieurs centaines d’œufs par an, avec éventuellement quelques poulets de chair pour compléter.
Au total, cette autonomie de base représente environ 180 à 220 m² cultivés plus un petit parcours pour les poules. C’est conséquent, mais faisable. Et surtout, cela se traduit par une cave et des étagères pleines en hiver : pommes de terre en sacs, bocaux de sauce tomate, confitures de framboises, légumes lactofermentés, courges et choux de garde.
Conclusion
Atteindre l’autonomie alimentaire n’est pas une quête de perfection mais une affaire d’équilibre. Le potager ne fonctionne pas comme un supermarché : il déborde en été, ralentit en hiver, réserve parfois des surprises bonnes ou mauvaises. Mais avec un socle bien pensé (féculents, protéines simples, légumes de garde et quelques fruitiers), tu poses les bases d’une alimentation régulière et sécurisée.
Tout le reste, les légumes plaisir, les variétés rares, les excès de tomates à transformer en sauce, vient en bonus, selon ton envie et ton énergie. L’important n’est pas de viser le chiffre exact, mais de construire une organisation résiliente qui nourrit ta table toute l’année.
Et pour les amoureux des chiffres, j’ai conçu un fichier Excel interactif : tu indiques simplement “2 adultes + 1 enfant” et il calcule combien de plants, de kilos et de mètres carrés il te faut. Un outil artisanal, librement téléchargeable, pour transformer tes envies en mètres carrés bien réels.
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