La permaculture: histoire, principes et critiques pour se faire son avis

La permaculture, tu en as probablement entendu parler partout : vidéos YouTube, réseaux sociaux, formations, ou amis qui “se lancent dans un potager en permaculture”. Le mot intrigue, fait rêver, parfois agace. Et c’est normal : il recouvre à la fois des techniques de jardinage, une philosophie, et même une vision politique. Pas facile de s’y retrouver.

Dans cet article, je te propose de prendre un peu de recul. On va explorer ensemble ce que recouvre la permaculture, ses idées majeures, ses contradictions aussi. Pas pour distribuer des bons et mauvais points, mais pour donner des repères clairs. L’idée est simple : t’aider à comprendre l’histoire et les bases de cette approche, afin que tu puisses te faire ton avis sans culpabiliser ni tomber dans le piège des slogans.

Ma position (d’où je parle)

Je ne suis pas neutre sur le sujet : l’esprit de la permaculture et ses trois piliers me servent de boussole éthique. Je m’y reconnais largement, tout en restant consciente des contradictions que ça peut impliquer. Je me situe donc quelque part entre la sympathisante et la partisane, avec l’envie d’expérimenter sans transformer cette philosophie en doctrine rigide.

C’est depuis ce point de vue, à la fois engagé et critique, que je t’invite à parcourir cet article.

1. Pourquoi la permaculture est partout (et pourquoi c’est le bazar)

Si tu t’es déjà intéressé à la permaculture, tu as sans doute remarqué qu’on y trouve de tout : des vidéos de potagers “miracles”, des stages hors de prix qui promettent une vie transformée, ou encore des débats sans fin sur la “vraie” définition du mot. Difficile de s’y retrouver.

À l’origine, la permaculture désigne une approche sérieuse : observer la nature, comprendre son fonctionnement et s’en inspirer pour créer des systèmes agricoles durables. Mais en quelques décennies, le concept s’est élargi. Aujourd’hui, on l’emploie aussi bien pour parler de toilettes sèches que de gouvernance horizontale, de potagers urbains que d’écovillages.

Cette diversité est à la fois une force et une source de confusion. On mélange philosophie de fond, techniques précises et parfois simples gestes de bon sens. Selon les cas, la permaculture est brandie comme un label valorisant, ou utilisée comme un critère d’exclusion (“si tu retournes ton sol, tu n’es pas permaculteur·rice”).

Pourtant, il ne faut pas voir ce mot uniquement comme une étiquette ou un argument marketing. On peut aussi le considérer comme un prisme de lecture : une façon d’observer, de questionner et de relier des pratiques diverses entre elles. C’est d’ailleurs ainsi que beaucoup de personnes découvrent le jardinage autrement.

Et je l’avoue, j’utilise aussi ce mot comme mot-clé dans mes contenus. Pas pour surfer sur la mode, mais parce que c’est une porte d’entrée : si tu cherches “permaculture”, je préfère que tu tombes sur un contenu nuancé que sur une promesse trop belle pour être vraie.

2. Aux origines de la permaculture : Mollison, Holmgren… et après

Dans les années 1970, marquées par les chocs pétroliers et les premières alertes écologiques, deux Australiens cherchent une alternative : Bill Mollison (chercheur en écologie) et son étudiant David Holmgren. Leur idée de départ est simple : l’agriculture industrielle détruit sols et ressources, il faut inventer des systèmes inspirés des écosystèmes naturels.

Leur premier ouvrage, Permaculture One (1978), pose le mot “permaculture” et rassemble surtout des exemples de systèmes agricoles pérennes (plantes vivaces, animaux utiles, associations). Ce n’est pas encore une “philosophie complète” : c’est surtout un manifeste technique, une proposition de design agricole alternatif.

L’année suivante, Permaculture Two (1979) met davantage l’accent sur la méthode de conception (design). Puis, en 1988, Mollison publie A Designer’s Manual, qui deviendra la référence des Cours de Conception en Permaculture (PDC). C’est là que les outils classiques (zones, secteurs, principes de design) se structurent vraiment.

Les éthiques : un cadre de valeurs

Parallèlement, au fil des années 80, se cristallisent les trois éthiques aujourd’hui incontournables :

  • prendre soin de la terre,
  • prendre soin des humains,
  • partager équitablement.

Ces éthiques ne sont pas apparues toutes armées en 1978 : elles se sont progressivement imposées comme cadre de référence dans l’enseignement et les PDC, pour donner du sens aux choix de design.

Les principes : formalisation par Holmgren

Enfin, au début des années 2000, David Holmgren affine cette pensée dans Permaculture: Principles and Pathways Beyond Sustainability. Il formule 12 principes clairs, qui déclinent les éthiques en repères concrets :

  • Observer et interagir
  • Capter et stocker l’énergie
  • Créer une production
  • Appliquer l’autorégulation et accepter les rétroactions
  • Utiliser et valoriser les ressources renouvelables
  • Ne produire aucun déchet
  • Concevoir du général vers le détail
  • Intégrer plutôt que séparer
  • Utiliser des solutions petites et lentes
  • Valoriser la diversité
  • Utiliser les bordures et valoriser la marge
  • Réagir au changement et l’utiliser de manière créative

Présentés ainsi, ces principes semblent relever du bon sens, mais leur rôle est surtout de fournir une grille de lecture pour concevoir des systèmes durables, agricoles ou non. Holmgren les illustre d’ailleurs avec la fameuse “fleur de la permaculture”, où les pétales représentent différents domaines : habitat, énergie, économie, santé, gouvernance…

En résumé, la permaculture est née comme une méthode de design agricole (années 70–80), et elle s’est élargie au fil du temps pour devenir un cadre global de transition écologique et sociale (années 2000 et après).

Et Fukuoka dans l’histoire ?

Quand on parle de permaculture, le nom de Masanobu Fukuoka revient souvent. Cet agronome et philosophe japonais publie La Révolution d’un seul brin de paille en 1975, soit trois ans avant Permaculture One. Sa démarche est minimaliste et radicale : pratiquer une “agriculture du non-agir”, sans labour, sans engrais chimiques ni pesticides, en laissant la nature s’organiser au maximum.

Fukuoka n’a pas “inventé” la permaculture, mais ses idées ont profondément inspiré le mouvement. Sa différence avec Mollison et Holmgren tient surtout à la forme : là où la permaculture se veut une méthode de design structurée et transmissible (cours, principes, schémas), Fukuoka proposait surtout une philosophie de vie minimaliste, très liée au zen et à la culture japonaise.

En résumé : Fukuoka n’est pas un fondateur officiel, mais un cousin spirituel, souvent cité comme une source d’inspiration majeure.

Capsule : permaculture, agroécologie, bio: les différences

On entend souvent permaculture, agroécologie et agriculture biologique dans la même phrase, comme si c’étaient des synonymes. Pourtant, chaque concept a son propre ADN.

  • L’agriculture biologique, c’est avant tout un cahier des charges : pas de pesticides ni d’engrais de synthèse, rotations de cultures, biodiversité encouragée. Mais ça peut rester très classique : des rangs de légumes mécanisés, tant que les intrants sont “naturels”.
  • L’agroécologie, c’est plus large. L’idée est de rendre le système agricole écologique et résilient : complémentarité des espèces, gestion de l’eau, reforestation, haies, fertilité naturelle. C’est souvent présenté comme une approche scientifique et rationnelle, pensée pour être réplicable, y compris à grande échelle.
  • La permaculture, enfin, n’est pas à la base un mode de production agricole. C’est un cadre de conception pour tout système durable, qui inclut l’agriculture mais va jusqu’à l’habitat, l’économie ou l’organisation sociale. Elle emprunte volontiers aux pratiques bio et agroécologiques, mais son moteur, c’est la conception systémique : chaque élément nourrit les autres, rien ne se perd. Résultat : deux jardins “en permaculture” ne se ressemblent pas forcément, car la conception dépend toujours du contexte.

En résumé : le bio fixe des règles, l’agroécologie innove sur les pratiques, la permaculture pense global et relie le tout. Et la bonne nouvelle, c’est qu’on peut les additionner plutôt que les opposer.

3. Le design permaculturel : une méthode de conception

On associe souvent la permaculture à quelques images emblématiques (buttes, spirales aromatiques, toilettes sèches…) Mais son cœur est ailleurs. La permaculture est d’abord une méthode de conception : observer un lieu, comprendre ses dynamiques, puis organiser les éléments de manière à ce qu’ils se soutiennent mutuellement.

Une logique d’interconnexions

L’idée est simple : relier plutôt qu’accumuler.

  • Chaque élément devrait remplir plusieurs fonctions. Une poule, ce n’est pas que des œufs : c’est aussi un recycleur de déchets de cuisine, un fournisseur d’engrais et un auxiliaire contre certains insectes.
  • Chaque besoin devrait être couvert par plusieurs solutions. L’eau d’un jardin peut venir de la pluie, d’une mare, d’un paillage qui retient l’humidité… Ceinture et bretelles.

Les outils de base

Bill Mollison les a rassemblés dans A Designer’s Manual (1988), qui reste la référence des cours de conception en permaculture :

  • Les zones : organiser l’espace en cercles concentriques selon la fréquence d’usage. Zone 1 = le potager qu’on visite tous les jours, zone 5 = l’espace laissé à la nature.
  • Les secteurs : analyser les flux qui traversent un site (soleil, vent, eau de ruissellement, bruit, vues, etc.) et concevoir pour en tirer parti au lieu de les subir.
  • Les principes de conception : penser en systèmes, favoriser la diversité, et valoriser les zones de transition (lisières, interfaces). Ces endroits où deux milieux se rencontrent (une haie, une berge, le pied d’un muret) concentrent souvent plus de vie et de productivité que les zones homogènes.

Concrètement, ça donne quoi ?

  • Une forêt-jardin qui reproduit la structure d’une forêt naturelle avec plusieurs strates de production (arbres, arbustes, herbacées, couvre-sols).
  • Des mares et citernes qui stockent l’eau de pluie et irriguent par gravité.
  • L’intégration poules–compost–potager : les déchets nourrissent les poules, qui fournissent engrais et œufs, tout en réduisant certains ravageurs.

En résumé

Le design est la colonne vertébrale de la permaculture. Les techniques varient d’un lieu à l’autre, mais la logique reste la même : observer, connecter, et chercher la cohérence entre les éléments. Deux projets “en permaculture” ne se ressemblent jamais exactement, parce qu’ils sont toujours adaptés à un contexte unique.

4. La philosophie et les éthiques : un cadre de valeurs

L’histoire a montré comment la permaculture est passée d’un projet agricole à une méthode de design, puis à une réflexion plus large. Mais au-delà des outils, ce qui la distingue, ce sont ses éthiques :

  • Prendre soin de la Terre (earth care),
  • Prendre soin des humains (people care),
  • Partager équitablement (fair share).

Ce dernier point, fair share, est sans doute le plus ambigu : selon les traductions, on parle de “limiter la consommation”, de “redistribuer les surplus” ou de “partager les ressources”. Autant dire qu’il laisse place à interprétation.

Ces trois phrases, devenues le socle des Cours de Conception, sont volontairement simples. Elles servent de boussole, pas de règlement.

Des éthiques à l’action

Pour traduire ces intentions en pratique, David Holmgren a proposé au début des années 2000 une série de principes de conception. J’en ai parlé plus haut dans la partie historique : inutile de les détailler à nouveau, mais retiens qu’ils permettent de passer de la valeur (“prendre soin”) à l’organisation concrète du design.

Une portée qui dépasse le jardin

Avec la “fleur de la permaculture”, Holmgren a montré que ces valeurs pouvaient s’appliquer bien au-delà du potager : à l’habitat, à l’énergie, à l’économie locale, à la santé ou à la gouvernance. Cette extension explique pourquoi on retrouve aujourd’hui le mot “permaculture” dans des contextes très variés, parfois très éloignés du jardinage.

Et comme toute proposition éthique, elle comporte aussi une dimension politique : parler de partage équitable ou de limites à la consommation, c’est déjà poser un débat sur la justice sociale, la répartition des ressources, et la remise en cause d’un modèle productiviste.

En résumé

La dimension philosophique de la permaculture, ce ne sont pas des dogmes : c’est une invitation à relier pratiques, valeurs et choix collectifs. Les éthiques et principes donnent du sens ; le design sert à les traduire dans la réalité.

5. Comment la permaculture s’est exportée et transformée

Partie d’Australie, la permaculture franchit vite les frontières. Dans les années 1980–1990, les Cours de Conception en Permaculture (PDC) deviennent son principal vecteur de diffusion. Standardisés par Mollison, ils créent un réseau mondial… et aussi un marché de la formation, parfois critiqué pour son entre-soi.

Des adaptations locales

  • En Europe : Sepp Holzer expérimente une “permaculture alpine” intuitive en Autriche ; Emilia Hazelip développe en France la “culture synergique” (buttes permanentes, sol toujours couvert) ; Patrick Whitefield vulgarise en climat tempéré ; Rob Hopkins transpose la démarche au champ social avec les Villes en transition.
  • En Amériques et ailleurs : Toby Hemenway diffuse la permaculture grand public avec Gaia’s Garden ; Starhawk y relie spiritualité et activisme ; Geoff Lawton médiatise massivement via ses vidéos, notamment au Moyen-Orient et en Afrique ; David Jacke formalise la “forêt comestible” tempérée avec Edible Forest Gardens.

Une culture de la durabilité… et ses tensions

Au fil de ces adaptations, la permaculture déborde le cadre agricole. Avec la “fleur de la permaculture” (Holmgren), elle englobe habitat, énergie, économie, santé ou gouvernance. C’est sa force, mais aussi une source de tensions :

  • Pour certains, c’est une méthode structurée de design, transmissible et certifiable.
  • Pour d’autres, c’est une philosophie de vie globale, où chaque choix reflète les éthiques de départ.

Ce double mouvement explique pourquoi on trouve aujourd’hui des discours contradictoires sous la même bannière. Pour ma part, je préfère y voir une boussole éthique et une boîte à outils : pas besoin de tout appliquer, l’essentiel est d’avancer de façon cohérente selon son contexte.

6. Les critiques de la permaculture (internes et externes)

Quand une idée circule, elle se transforme. La permaculture n’échappe pas aux critiques, qui viennent aussi bien de l’extérieur que du sein du mouvement. Certaines sont justifiées, d’autres tiennent plus du malentendu, mais toutes montrent que la permaculture est un champ vivant, traversé de débats.

Un concept trop large… ou trop dogmatique

Pour les uns, la permaculture est devenue un mot-valise où chacun met ce qu’il veut : toilettes sèches, gouvernance horizontale, potager bio ou vie en communauté. Pour d’autres, c’est l’inverse : une doctrine rigide, défendue par des “gardiens du temple” qui excluent ceux qui ne respectent pas leurs règles (“si tu retournes ton sol, tu n’es pas permaculteur·rice”).

Un manque ou un excès de science

Les critiques académiques soulignent un manque d’études solides sur les rendements ou l’efficacité réelle de certaines pratiques. À l’inverse, d’autres reprochent au mouvement d’être devenu trop techniciste, trop centré sur des schémas de “design” déconnectés de la réalité sociale et agricole.

Communautés fermées vs appropriation populaire

Les Cours de Conception en Permaculture (PDC) ont permis une diffusion internationale, mais leur format codifié et leur coût élevé alimentent les critiques d’entre-soi. À côté, beaucoup de praticiens développent une approche plus libre, basée sur le partage de savoirs, les réseaux informels ou l’expérimentation ouverte.

Appropriations politiques et culturelles

Certains projets exportés en Afrique ont été critiqués pour leur dimension néocoloniale : modèles imposés depuis l’Occident, mal adaptés aux contextes locaux. D’autres expériences, au Zimbabwe ou en Afrique du Sud par exemple, montrent au contraire une appropriation réussie, où la permaculture devient un outil d’autonomie et de résilience communautaire.

Zones grises et sujets qui fâchent

  • Liens périphériques : certaines écoles ou collectifs ont croisé la permaculture avec des approches ésotériques (biodynamie de Steiner, anthroposophie, écoles alternatives). Cela reste marginal, mais nourrit les accusations de “pseudo-science”.
  • Business de la formation : certains PDC sont devenus très chers, donnant l’impression d’un marché plus que d’une pédagogie accessible.
  • Politisation : pour certains, la permaculture serait trop “bobo spirituel” et déconnectée ; pour d’autres, au contraire, pas assez radicale face à l’urgence écologique et sociale.

Angles morts sociaux et politiques

Des chercheurs notent un manque de réflexion sur les rapports de pouvoir : genre, colonialisme, hiérarchies internes. Ces critiques rappellent que la permaculture n’est pas qu’une affaire de compost et de buttes, mais aussi de structures sociales.

Contradictions et compromis : comment se situer

Même à l’intérieur du mouvement, les éthiques et principes ne s’alignent pas toujours. Vouloir “prendre soin de la Terre” peut impliquer des efforts physiques considérables qui mènent à l’épuisement. Réduire l’usage des énergies fossiles est cohérent, mais un maraîcher peut choisir un motoculteur pour préserver sa santé et maintenir des prix accessibles.

On peut voir ces compromis comme une lâcheté. Mais dans les faits, ils sont souvent :

  • une stratégie d’adaptation pour durer,
  • une cohérence élargie, où la viabilité prime sur la pureté absolue,
  • un processus d’apprentissage, où chaque choix imparfait sert de repère pour affiner les suivants.

La pureté totale est intenable. La voie réaliste, c’est d’assumer des contradictions, de réfléchir au moindre mal et d’avancer pas à pas.

En résumé

La permaculture n’est ni une panacée, ni une imposture. C’est un mouvement éclaté, parfois contradictoire, qui oblige chacun à se situer. Les critiques (sur la science, la pédagogie, le business, la politique) font partie de son évolution. Et c’est peut-être là son intérêt : plutôt qu’un dogme figé, une boîte à outils vivante, à manier avec discernement.

7. Mes conseils pour naviguer sereinement dans le milieu

Quand tu entres dans ce milieu, tu croiseras des personnes avec des prismes très différents. Tu verras des techniques qui fonctionnent incroyablement bien chez certain·es, d’autres approches plus radicales, d’autres encore très pragmatiques. C’est normal : il y a autant de visions que de parcours.

Une fois que tu as mis le pied dedans, si ça te parle, tu risques d’être débordé d’enthousiasme et d’avoir envie de tout essayer. Peut-être même que la philosophie va te transcender et que tu y trouveras un but de vie. Et tant mieux. Mais pour éviter de t’épuiser avant la fin de ta première saison, mieux vaut apprendre à filtrer ce que tu découvres.

0. Commencer par les bases
Avant de plonger dans les débats, les éthiques et les grands principes, il y a un socle incontournable : quelques notions d’agronomie si tu veux viser une forme d’autonomie. Rien d’élitiste : comprendre ton sol, ton climat, tes plantes, les interactions dans un système. Ces bases sont accessibles et progressives, et elles t’éviteront de naviguer à vue.

1. Comprendre le contexte actuel
L’agriculture et le jardinage ne partent pas de zéro. On hérite des pratiques productivistes (sol nu, chimie, mécanisation) et de la foi d’après-guerre dans le progrès, mais aussi des approches agroécologiques plus récentes, et de dimensions spirituelles ou militantes liées au jardin. Je ne développe pas ici : un article spécifique est en cours, tu pourras le consulter pour approfondir. Retenons seulement que chacun projette ses héritages et ses attentes dans sa pratique, ce qui explique la diversité des discours et des techniques.

2. Garder un regard lucide sur les gens et les idées
Pour t’éviter des nœuds au cerveau, et comme dans beaucoup de domaines, quelques principes simples : analyser, réfléchir, puis décider. Et surtout, différencier les idées/techniques de la personne qui les porte.

  • L’idée se filtre par sa provenance, sa transposabilité, ses coûts et sa cohérence avec tes valeurs.
  • Le porteur de l’idée se filtre par son expertise, ses biais possibles, ses intérêts (qui peuvent être sincères, commerciaux, politiques, militants…), et la place de cette idée dans son système de pensée.

En pratique, ça donne :

  • D’où vient l’idée ? Observation de terrain, étude solide, ou simple slogan marketing ?
  • À qui profite le discours ? Partage sincère, retour d’expérience, démarche commerciale, propagande, positionnement politique ?
  • Est-ce transposable chez toi ? Sol, climat, budget, temps disponible.
  • Quel est le coût réel ? Argent, énergie, matériaux, entretien.
  • Est-ce que ça respecte tes limites ? Santé, valeurs, équilibre de vie.

Et n’oublie pas : tu rencontreras toujours des gens pour te dire que tu n’en fais pas assez, ou que tu en fais trop. Ça fait partie du paysage. L’important est de savoir où toi tu veux placer le curseur.

Exemple appliqué (moi, l’autrice de cet article)

  • D’où vient l’idée ? De mon expérience personnelle, de lectures, de rencontres et de ma formation en maraîchage.
  • À qui profite mon discours ? J’y mets beaucoup de cœur, je partage par conviction, mais j’espère aussi en tirer un revenu. Mon modèle économique est solidaire et semi-libre, avec l’espoir d’atteindre un jour au moins un SMIC.
  • Est-ce transposable chez toi ? J’essaie de concevoir mes contenus pour qu’ils le soient, mais il y aura toujours des exceptions.
  • Quel est le coût réel et est-ce que ça respecte tes limites ? À toi de voir : selon ton temps, ton budget et tes valeurs, tu décideras si mes contenus (ou ceux d’autres) collent à ton contexte.

3. Se situer sur l’échiquier
Une fois que tu as filtré les idées et évalué qui les porte, il reste une étape clé : savoir où toi, tu te places. Tes choix ne se feront jamais dans le vide, mais dans un contexte social, économique et personnel.

Tout le monde n’a pas les mêmes moyens : temps, argent, santé, entourage, accès à la terre. Tenir un discours radical est plus simple quand on n’a pas à se demander comment payer son loyer ou nourrir sa famille. De la même manière, certaines personnes auront la possibilité d’expérimenter longuement, d’autres devront aller à l’essentiel.

Reconnaître ces différences ne sert pas à relativiser ton engagement, mais à ajuster ton regard : ce n’est pas parce que tu n’appliques pas tous les principes “à la lettre” que ton projet est incohérent. La cohérence écologique n’est pas un concours de pureté : elle se construit toujours dans ton contexte, avec tes moyens et tes valeurs.

À partir de là, tu as déjà les clés en main pour naviguer sereinement dans un milieu foisonnant et mouvant. Il ne tient qu’à toi d’appliquer ces principes de précaution. L’enjeu ? Préserver la viabilité de tes projets futurs… et ton équilibre.

Conclusion : la permaculture comme boîte à outils, pas comme religion

La permaculture est née dans les années 1970 comme une proposition agricole, avant de s’exporter et d’inspirer des domaines bien plus larges. Elle s’est enrichie de techniques de design, d’un cadre philosophique, de critiques internes et externes, et d’une diversité d’interprétations qui en font aujourd’hui un mouvement hétérogène. C’est précisément ce mélange, entre pratique, pensée et débats, qui mérite qu’on s’y attarde. Plutôt que d’y voir une doctrine, mieux vaut la considérer comme une grille de lecture : un outil pour observer, questionner et relier. Tu peux t’en inspirer, adapter ce qui résonne avec ton contexte, et laisser de côté ce qui ne te convient pas. Bref, la permaculture n’est pas une vérité toute faite, mais une boîte à outils ouverte, dans laquelle chacun peut trouver de quoi avancer.

Alors si tu découvres, bienvenue à toi. Et rappelle-toi qu’un effort, même imparfait, a toujours plus de valeur que l’inaction.

Pour aller plus loin
Textes fondateurs
Bill Mollison & David Holmgren – Permaculture One (1978)
→ Premier livre qui lance officiellement le mouvement. Assez daté mais intéressant pour voir l’esprit des origines.
David Holmgren – Permaculture: Principles and Pathways Beyond Sustainability (2002)
→ Où sont formulés clairement les 12 principes. Dense, mais essentiel pour comprendre la pensée de Holmgren.
Inspirations parallèles
Masanobu Fukuoka – La révolution d’un seul brin de paille (1975)
→ Philosophie du “non-agir”. Pas de méthode, mais une vision radicale qui a inspiré les permaculteurs.
Patrick Whitefield – Earth Care Manual (2004)
→ Adaptation européenne de la permaculture en climat tempéré. Plus pratique et pédagogique.
Vulgarisation accessible
Toby Hemenway – Gaia’s Garden (2001)
→ Le livre de permaculture le plus vendu au monde. Ciblé sur les jardins, facile à lire.
Rosemary Morrow – Earth User’s Guide to Permaculture (2006)
→ Guide pratique, conçu pour être utilisé aussi dans les pays du Sud. Accessible, concret, inclusif.
Approches dérivées et critiques
Emilia Hazelip – vidéos et écrits sur la “culture synergique”
→ Permet de voir comment la permaculture a évolué vers un courant spécifique (buttes permanentes, non-labour).
David Jacke & Eric Toensmeier – Edible Forest Gardens (2005)
→ Référence sur les forêts comestibles en climat tempéré. Très technique.
Konrad Schreiber & réseau Maraîchage Sol Vivant (France)
→ Pour une approche plus agronomique et scientifique de la fertilité des sols.
Applications sociales et politiques
Rob Hopkins – The Transition Handbook (2008)
→ Comment les principes de la permaculture ont inspiré le mouvement des Villes en transition.
Starhawk – The Earth Path (2004)
→ Vision écoféministe et spirituelle, pour comprendre la dimension militante et communautaire.
Ressources critiques
Peter Harper – “Permaculture: The Big Rock Candy Mountain” (2015)
→ Essai critique sur la permaculture, accuse le mouvement de manquer de rigueur scientifique.
Linda Chalker-Scott – The Informed Gardener (2008)
→ Pas sur la permaculture directement, mais une bonne ressource pour confronter pratiques de jardinage et validation scientifique.

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